LA MAGIE DU RIO DULCE

Une communauté cachée

Dans une vie de plaisanciers, et dans une vie tout court pour qui aime le voyage, remonter un fleuve en pleine jungle sur son bateau jusqu’à une destination reculée et miraculeusement préservée relève du comble de l’exotisme. C’est totalement excitant.

Attirés par l’aventure, le décor tropical, la vie et la main d’œuvre bon marché, environ 600 voiliers de voyageurs par année s’engouffrent dans le Rio Dulce sur la fine côte est du Guatemala. Le noonsite -site de référence dans le monde de la plaisance- titrait récemment : « Rio Dulce, le secret le mieux gardé ».

Les voiliers en baroude remonteront sur 18 miles jusqu’à la chaotique petite ville de Frontera sous l’un des plus grand pont d’Amérique centrale.

L’entrée du fleuve demande un peu d’audace, d’abord pour rallier l’embouchure sur la côte est guatémaltèque, ensuite pour y pénétrer.

La navigation dans ce bout de mer des Caraïbes d’où qu’on vienne peut être sportive car la mer y est souvent formée.

Une fois sur site, les voiliers calant plus de 2 mètres de quille devront « passer la barre » à l’aide soit de la marée soit d’un bateau de pêcheur en se faisant haler à 45 degrés par la drisse de grande voile avant d’embouquer par son fabuleux canyon ce Rio tant fantasmé.

Un banc mouvant de sable situé à l’embouchure du fleuve interdit l’entrée aux gros tirants d’eau.

Poule aux œufs d’or pour certains, entrave au développement économique pour d’autres, cette barre fait l’objet de bien des discussions.

De face, l’eau azur de la Caraïbe devient opaque et saumâtre. La coque goûte alors enfin à l’eau douce émeraude du fleuve libérée des contraintes techniques administratives au passage de Livingstone, le port d’entrée officiel.

La proue pointe impatiente sur le canyon, juste là. La végétation sauvage dégringole sur ses parois, les oiseaux piaillent. Le spectacle est à la hauteur de la promesse d’insolite.

Serpentant les montagnes sur 6 à 7 miles, le fleuve s’élargit -trop- vite sur le Golfete, un premier lac intérieur. La navigation en eau douce dans cette ambiance équatoriale est calme et envoûtante.

Au détour d’une baie, des enfants s’éloignent sur leurs cayucos. Cela ajoute du mystère au mystère. D’où viennent-ils ? Où vont-ils ?

La route d’entrée offre des images fortes.

Le contre-jour jaune orangé sur les reliefs de la forêt provoqué par le soleil couchant est captivant.

À la nuit tombée, le reflet parfait des étoiles dans l’eau immobile donne l’impression d’un navire ancré en apesanteur dans l’espace. Les cris des animaux et une odeur de sève et de feu de bois sec dans l’air chaud et humide de la « selva » rappellent à la terre.

Au jour suivant, les toits de grosses palapas* disséminées ça et là sont visibles le long des rivages qui s’aplanissent.

Ils abritent de petites marinas cachées comme des secrets. Elles se multiplient à l’approche du pont de la chaotique Frontera.

Un autre monde s’ouvre. Comment soupçonner l’existence d’une communauté de plaisanciers dans ce coin reculé du monde ?

Ce qui fait d’ailleurs son charme, c’est que l’endroit est encore relativement préservé du tourisme. Pour y venir, même par la terre, cela demande d’avoir du temps (et d’assumer des chaleurs terrassantes).

Planqués au cœur de la jungle, tous les bateaux arrivés ici ont une histoire. Séduits par la main d’œuvre et le coût de la vie bon marché, les infrastructures qui s’y développent, l’accueil, la culture, l’ambiance, certains équipages viennent y passer la saison cyclonique (de juin à novembre en mer des Caraïbes) ou y vivre le temps d’une longue escale.

D’autres y retapent inlassablement leur rafiot entre deux boulots au pays rêvant leur départ. Sur les chantiers, bien des bateaux en cale sèche attendent le retour de leur propriétaire comme on attend le retour d’un être aimé.

Et que dire des capitaines qui ne sont simplement jamais repartis ?

Le fantasme de l’exploration anime bien des navigateurs/trices. Peut-être ont-ils atteint le sentiment qu’il sera difficile d’accéder à un endroit reculé plus exceptionnel ?

La nature

La jungle est dense par essence, en théorie. Singes hurleurs, lamantins, fourmis de feu, crocodiles, oiseaux multicolores, papillons bleu pétant et gros comme la main…

En pratique, combien d’animaux se trouvent juste là, sans en voir un seul, hormis ces satanés moustiques porteurs de dengue ?

Les cormorans et les aigrettes ont établis leurs quartiers dans les bosquets des îlots proches des marinas. Pour les autres bestioles, il faut s’armer de patience, avoir et prendre le temps.

Puis l’univers se met en marche, et là vos yeux ont une chance d’en apercevoir … ou d’en voir même de très près, selon les anecdotes récoltées auprès de plaisancier qui ont eu la visite à bord et autour de leurs bateaux d’araignées, singes en bande ou qui torpille le passant des fruits d’un arbre, serpents, et autres rongeurs non identifiés dixit « bien plus gros qu’un rat et aussi agile qu’un écureuil ».

Le Rio, ça enivre !

Le dinghy est parfait pour partir explorer des petits bras de fleuve. Ils s’enfoncent dans le vert et appellent à partir à leur découverte. Chaque virage demande d’aller voir ce qu’il y a derrière …

Très vite, on se rend compte à quel point la jungle est impénétrable et nous digérerait en moins de deux. Pas grave, car une courte intrusion suffit à faire le plein d’impressions. Le mystère est omniprésent.

L’effet miroir de la végétation qui se dédoublent sur la surface parfaitement lisse de l’eau est à chaque fois époustouflant. 

À chaque rivière sa végétation, ses dégradés de vert, son ambiance fantasmagorique, plus ou moins sombre. Calmes ou criantes de bruits de faune, toujours sauvages, elles sont vraiment magiques.

Seules désillusions, la jungle qui soudainement disparaît pour faire place à des plantations de palmiers. En matière de protection de l’environnement toujours, on a observé quelques poissons morts flottants du côté du lac Izabal. Tout en nous gardant bien de tirer des conclusions hâtives, cela a attiré notre attention sur l’affaire du groupe minier Solway, multinationale dont le siège social est à … Zoug, en Suisse.

En bref, l’extraction du nickel se ferait dans l’irrespect total de l’environnement et des communautés environnantes, tout cela sur fond de corruption, de paradis fiscal, de scandale sanitaire, d’expropriations et de répression.

Voir le dossier Green blood du journal Le Monde : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/20/de-la-suisse-au-guatemala-l-opacite-organisee-du-groupe-minier-solway_5479336_3210.html

Les communautés et l’écotourisme

Quelques sites naturels magnifiques sont éparpillés dans les environs de Frontera. Faciles d’accès, ils donnent le sentiment d’être loin de tout. Les communautés locales, propriétaires des terres, prennent en charge l’accueil des visiteurs avec beaucoup de chaleur et de professionnalisme.

Cette source de revenu précieuse pour elles est l’occasion d’en apprendre long à la fois sur la nature environnante, les croyances et sur la réalité de la vie au Guatemala pour les Guatémaltèques.

Être Maya aujourd’hui
La civilisation Maya a été l’une des cultures les plus riches de l’histoire de notre humanité. L’époque de la colonisation coloniale qui l’a soumise à l’esclavage semble lointaine, et pourtant, le regard porté aujourd’hui sur les populations indigènes maya du Guatemala semble avoir peu évolué.

Dans les années 80, à l’apogée d’une guerre civile qui a duré plus de 30 ans, les Mayas ont souffert d’un génocide mené par les commandos de l’armée. Sous prétexte « d’homogénéiser la population », plus de 600 massacres d’indigènes ont été perpétrés.

« Nous ne sommes pas un mythe du passé, des ruines de la jungle ou des zoos.
Nous sommes des gens et voulons être respectés, ne pas être victime de l’intolérance et du racisme. »

Rigoberta Menchu Tum,
Prix Nobel de la paix 1992, indienne Maya Quiché, activiste pour les
droits de l’Homme

Alors que la communauté indigène guatémaltèque représente plus de 40% de la population du pays, elle reste exclue des politiques publiques. L’accès à l’éducation et la santé est très limité, la pauvreté est réelle et omniprésente. Leurs langues ne sont pas officiellement reconnues.

Le canyon del Boqueron, rive nord du lac Izabal, communauté Q’eqch’i Seacacar
Fabuleux canyon à descendre en tubbing après une marche d’environ 1.5 heure sur un sentier entretenu par la communauté. La randonnée et la descente est encadrée par des guides locaux.

Sur le site, un excellent restaurant est tenu par les villageois. Avec le soutien de l’association Aaqakar, la communauté vise à développer un véritable centre touristique dans le respect de son environnement, créant de l’emploi, une agriculture durable et un accès à l’éducation.

Pour l’anecdote, chaque an, les anciens organisent une cérémonie (non publique…) dans une grotte visible sur le dernier tronçon dans la descente avant d’arriver au centre. Elle a pour mission de demander la protection des visiteurs. La croyance dit que si des singes hurlent et approchent des visiteurs le long du sentier, cela serait à cause des mauvaises intentions qu’ils détectent chez eux.

Finca Paraiso, rive nord du lac Izabal
La plus touristique. Courte randonnée sur un sentier bien dégagé pour accéder aux sources d’eau chaude dans les eaux froide du fleuve San Antonio. Les plus téméraires sautent du haut d’une petite falaise d’où tombe une chute d’eau. À part quelques mômes adorables et roublards sur le parking, on a rencontré peu de locaux.

La rivière « en étage » de Siete Altares, au nord de Livingstone, communauté Garifunas.
Accessible en lancha par la mer, dans la Bahia Amatique. L’entrée se fait par une gargote tenue par la communauté Garifunas, descendants des nègres marrons et des Arawaks.

Courte et belle balade familiale dans la forêt par un sentier le long du fleuve ou les pieds dans l’eau jusqu’aux bassins supérieures où l’on peut se baigner sous la cascade. Le paradis existe ! Il parait même que les eaux ont des vertus curatives.

La grotte du tigre, Rio Tatin, communauté Maya Quequ’chi de Plan Rio Tatin et organisation Ak’tenamit
La légende raconte qu’il y a une cinquantaine d’année, un vieux s’est fait chiper ses poules par un jaguar. Les ossements retrouvés dans la grotte l’attestaient. Le vieux convoque alors les anciens, hésitant entre tuer l’animal ou lui tendre un piège.

Au final, après une semaine de cérémonies invoquant les forces de la nature, la bête s’en est allée d’elle-même. Selon les dires, elle a établi son territoire à 50km en direction du nord.

Par le fleuve, il faut d’abord se rendre au fond du Rio Tatin en lancha ou dinghy et amarrer au ponton de l’organisation Ak’tenamit.

Ce centre de formation professionnel vaut la peine d’être visiter. Il forme plus de 600 jeunes des communautés environnantes aux métiers de l’agriculture et du tourisme dans une optique durable. L’objectif est de créer des alternatives pour sortir du cycle de la pauvreté.

Une randonnée de 30 minutes mène à la Cueva del Tigre. Selon les conditions, il est possible de s’y baigner. La visite du village de Plan Grande Tatin peut également être organisée.

La barre de sable, poule aux œufs d’or ou entrave au développement ?

Elle est l’objet de bien des discussions de pontons. En synthèse, dans l’optique à priori improbable qu’une volonté politique soutienne le projet, une opération de dragage demanderait un investissement de base et d’entretien annuel colossal qui serait logiquement reporté sur les bénéficiaires, faisant du même coup sérieusement grimper les frais d’entrée au pays.

Le marquage du chenal, mouvant par essence, supprimerait des revenus pour les pêcheurs locaux qui se transforment en remorqueurs pour faire passer les bateaux.

Quant à d’éventuels transports commerciaux par barges au service des mines de la région de El Estor, les enjeux économiques ne semblent pas suffisamment intéressants pour initier un tel projet. C’est tant mieux pour la nature car la zone du Rio Dulce est un parc national.

Contacts :

Ingrid, caribemaya.com, pour la visite de la Fondation Ak’tenamit

Demandez Raul du village de Plan Grande, guide maya Quequ’chi pour la cueva del tigre et aldea Plan Grande Rio Tatin.

Pour le tubbing, www.reservaseacacar.com

Raul Morales, Servamar, navieraservamar@gmail.com pour les formalités d’entrée au pays

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