Décembre 2019

Naviguer au Bélize

C’était avant les banques de photos en ligne, rappelez-vous : cette image d’une île déserte au sable blanc qui couvrait votre classeur de math, vous captivant bien plus que le cours lui-même.

Maintenant on le sait, le cliché aurait pu être pris sur la seconde plus grande barrière de corail du monde, au Bélize, entre le Guatemala et le Mexique.

Certes, la mangrove obscurcit la teinte de l’eau quand il y en a. Mais globalement, on y trouve bien des endroits sublimes qui n’ont rien à envier aux atolls du Pacifique.

Il y a même un blue hole sur l’atoll de Lighthouse à l’extérieur de la barrière qui nous titille …

Toutefois, l’accès à ces paradis n’est pas pour toutes les quilles. Se balader dans les eaux peu profondes et turquoise du Bélize, c’est un peu comme partir en randonnée en montagne dans une superbe plaine mais qui serait truffée de crevasses.

Ici, ce sont les récifs et les patates de coraux dont il faut vraiment se méfier, d’autant que la cartographie n’est pas toujours fiable.

On a rencontré plusieurs plaisanciers qui se sont échoués au Bélize et réparait tant bien que mal au Guatemala. L’un d’eux avait tanqué son bateau sur un récif en tentant une passe.

Il a noté ¼ de mile d’écart entre sa carte numérique navionics et sa position, soit presque 400 mètres ?!

Bizarre autant qu’étrange, ça fait beaucoup. Bilan : des milliers de dégâts et une amende de 25’000 dollars américains à payer cash… car oui, si les fonds marins sont protégés et en super santé, les autorités sont aussi d’attaque quand il s’agit de passer au tiroir-caisse.

Pour être honnêtes, on a seulement touché du bout de l’étrave ce magnifique bassin et restons sur notre faim.

On y a fait les plus incroyables snorkeling de notre vie, dignes de la Mer Rouge. Les coraux sont sublimes et surpeuplés de poissons de récifs, tout ça dans un cadre idyllique. Il y a des centaines d’îles et peu de bateaux. On y est comme des Robinsons.

Les raimoras qui essaient de choper les mollets de Jojo comme transports publics quand il va gratter la coque au mouillage resteront de sacrés souvenirs ! 😀

À Ranguana, les dauphins ont fait comité d’accueil. À notre première immersion, les raies aigle étaient au rendez-vous. Tout ça rythmé par les plongeons des pélicans dans le banc de millions d’alvins juste devant la petite plage déserte et la musique reggae de la gargote de l’île en toile de fond. Du bonheur !

Donc même si on en a vu que la pointe du récif, on est comblés si on considère qu’il y a un peu plus d’une année, on ne savait même pas où c’était le Bélize…

Mais les ennuis de santé sont venus avec les nuages du nord.

J’ai chopé la dengue ce qui a mis un bon coup de frein à nos explorations de rookies. C’est l’hiver et le ciel capricieux et couvert ne nous arrange pas quand on préfère du soleil pour identifier les récifs à vue.

Les vents hivernaux du nord rendent les mouillages incertains et surtout notre projet de monter au nord pour la saison à venir nous appelle.

Alors quand une fenêtre météo nous a ouvert le chemin pour Cuba par le large, on a fonçé.

C’est qu’en hiver, les vents sont essentiellement nord-est, nous obligeant à remonter contre lui. C’est pénible et le bateau marche lentement. Ils sont entrecoupés de coups de northers prévisibles à 3-4 jours, ces vents forts et froids venant du continent nord-américain.

Quant ils rencontrent le courant du Gulfstream, ça donne des mers démontées dans les lesquelles on ne souhaite vraiment, mais alors vraiment pas, se retrouver.

Donc, quand de l’est, voir sud-est est annoncé, on traçe !

L’heure du départ pour Cuba

De Placencia, on navigue une nuit jusqu’à Robinson Cay par l’Inner Channel. De là, on chope une dernière météo et gaz, profitant des vents matinaux du nord-ouest pour descendre l’Eastern Channel et prendre le large, cap au nord, sous le vent de Turneef Islands. Le temps nous est compté et nous renonçons à un détour par Lighthouse.

C’est dimanche. On table sur une arrivée en fin de journée mardi à Cabo San Antonio, la pointe ouest de Cuba. On ignore à ce stade qu’on arrivera que le vendredi suivant à la Havane, un vendredi 13 !

Lundi, la mer est belle, mais le vent attendus E reste NE ce qui retarde notre progression. On comprend vite que dans ce coin de la Mer des Caraïbes, à cette saison, le gros de la fête se passe de nuit car les vents montent.

On essuie un méchant grain d’environ 1 heure qui en parait 3 avec des vents à 30-35 kn dans la nuit de lundi à mardi. La mer reste heureusement maniable.

Décidément, je reste un pur produit de la plaisance tranquille et je n’aime vraiment pas la baston. C’est stressant. Les manœuvres doivent être précises. Le matos doit assurer la tension qu’il encaisse et les bonhommes, solidaires, doivent être à leur affaire. Cette puissance suffit à nous rappeler qu’on est que dalle. Le moindre soucis prend vite de l’envergure.

Cela nous ferait presque oublier l’alarme de la pompe à huile du moteur qui sifflait joyeusement dans la journée quand on a voulu prendre du cap face au vent. Un bon coup de flip pour Jo.

Au final, après maintes vérifications, cela s’avère être une cause électrique.

La pompe à huile va bien, hi ha !

Jo en plein boulot pour trouver la cause de l’alarme de la pompe à huile du moteur, carré en vrac. Le problème était électrique et minime au final. Heureusement, car eux 2, c’est une grande histoire. Je crois qu’il aurait sauté par dessus bord de désespoir sinon …

Le jour se pointe, tout roule. La vie s’organise sur Django. On avait préparé des bons petits plats en avance et des activités courtes à faire avec Valentin : pâte à modeler, faire du pain, faire de la musique, contes, massages. Cela aide.

À 60 miles des côtes mexicaines, on a mangé notre pain noir et le vent devient enfin franchement E, voir SE. Le courant Gulfstream nous pousse au NE à 1-1,5kn (nettement plus amical que de face comme lors de la descente). On bombe à 7 nœuds de moyenne !

Mardi, à l’approche du Cabo San Antonio par le Yucatan Channel, on croise quantité de cargos. À chaque fois, notre AIS siffle et il faut rapidement valider leur position par rapport à nous, leur cap et leur vitesse. Ces mastards avancent au double, voir triple, de notre vitesse.

Certains ne sont pas repérés par notre AIS (?!), généralement la nuit pour bien faire, et là, il faut être prêts à réagir. Leurs feux indiquent leur cap mais c’est super difficile d’évaluer une distance de nuit.

Mercredi matin : partis dimanche aux aurores, nous sommes arrivés 12 heures plus tard que prévu. La fatigue pèse et nous souhaitons rafraîchir nos données météo. Notre Iridium fraîchement acquis d’occas’ n’est pas en fonction (manque la carte sim dure à trouver au Guatemala…).

Notre radio capte mal les bulletins américains. Quant à la connexion internet avec un portable, on est à Cuba les gars. Ça tourne encore avec la 2G, sur des spots publics, les bons jours …

La décision est donc de s’arrêter à la marina de Los Morros de San Antonio, celle-là même où nous avions effectué nos formalités de sortie du pays en mai dernier où on pourra se reposer et profiter du wifi.

Pas de diesel, pas de génératrice, plus de marina

Mais oh surprise ! Avec toutes ces histoires d’embargo et la crise vénézuélienne, qui est le pays qui avitaille Cuba en fuel, la marina a fermé en août dernier, faute de diesel pour alimenter la génératrice… Merci, aurevoir !

Lorsqu’on annonce à Valentin qu’on doit continuer de naviguer pour aller montrer nos passeports dans un autre bureau, puisqu’ici, c’est fermé, y’a personne, il nous répond : « d’accord » et part regarder un dessin animé …

Selon nos derniers relevés, on a jusqu’à vendredi pour rallier La Havane. Suite de quoi, l’ombre d’un coup de vent du nord plane…. Les pêcheurs de Los Morros nous confirment un front froid arrivant et un temps changeant dans la journée de vendredi.

Nos désormais vieilles prévisions tablaient sur une panne de vent dans les 12 prochaines heures avant de reprendre de l’est, sud-est à 15 kn. Dans les faits, on progressera avec 15 à 20 kn d’est et nord-est et sous des rafales à 25-30 kn liées à quelques cumulus la nuit.

On est donc partis pour louvoyer contre le vent, privilégiant le large la nuit (mais où est ce Gulfstream ?!), le côtier de jour car moins de vagues même si moins de courant portant. Le vent se casse la gueule en matinée. Cela nous permet aussi de faire du cap au moteur, de ranger le bateau, de se reposer, s’amuser et bien manger.

Un cargo contacté en plein bad trip au milieu de la nuit nous donne son bulletin -sur le ton d’une hôtesse de l’air… ouaich… la honte….- que la météo est au vert pour les 2 prochains jours avec un temps clair et un beaufort 4 d’est, le mauvais temps n’arrivant que samedi. Le poste de garde de Santa Lucia qui nous a reperé et nous interpelle par VHF pour savoir ce qu’on fait là, nous confirme ces prévisions. Ouf ! Virement après virement (il y en aura 35 au total quand même…), le contre-courant le long de la côte faiblit, et on avance pas si mal.

Pour éviter de perdre du temps, on garde notre option route côtière pour faire le plus de cap possible, craignant de devoir aller loin dans le canal de Floride pour profiter du Gulfstream (qui s’avèrera touchable à 10 miles des côtes en fait selon un pote plaisancier. On n’en a pas vu la couleur…).

Si on galère et traîne, on sait qu’on peut rallier un abri dans une baie à 50 miles de la Havane. Les autres abris potentiels le long de la côte nord sont peu fiables, car difficiles d’accès avec notre tirant d’eau. La cartographie est souvent inexacte dans ces coins-là aussi.

Donc, si le gros temps avait débarqué, on n’aurait pas eu d’autre choix que d’aller bagarrer au large … j’en fais pipi dans ma culotte rien que d’y penser.

Soudain, le ciel se charge de centaines de petits nuages annonciateurs d’un changement de temps (lenticusbidulus)… Bon sang ! Quand est-ce que ce front froid va débarquer ? À quelle vitesse est-ce que le temps change dans ce secteur ? Et si, et si, et si …

La radio locale nous tranquillise avec un bulletin météo favorable pour la journée et on continue de bien progresser.

Dans un élan solidaire, on décide de faire toutes les manœuvres ensemble durant la dernière nuit (on vire toutes les heures ou demi-heures…). Libéréééés, délivréééés de ce pré interminable, la dernière ligne droite sera comme un cadeau, avec un magnifique bord de travers dans une mer douce qui nous mène droit sur la marina Hemingway.

On est fiers comme des coqs et joyeux comme des pinsons ! La pression tombe laissant place au plaisir de naviguer. On n’est plus pressés d’arriver… On est à notre place. Qu’est-ce qu’on aime cette vie. Les navigations de 3 jours sont finalement plus pénibles que cette dernière d’une grosse semaine où la vie s’organise et le mal de mer disparait (pour peu qu’on dorme, mange, et ne se fasse pas brasser dans des gros creux…).

En fait, malgré le stress de l’alarme, des grains, de l’incertitude météo, les cargos de nuit sans AIS, le manque de sommeil, les courbatures, on vient d’effectuer notre plus belle et longue navigation.

Tout roule. Valentin va bien. L’expérience nous permet de voir ce qu’on aimerait améliorer pour de futurs longs passages : gestion du sommeil et du temps avec le petit, utilisation de l’Iridium pour les gribs et peut-être un routage, radar, 3ème ris, étai fixe, trinquette sur enrouleur, etc. On n’a jamais fini !

Reste à négocier l’étroite entrée du chenal en tenant notre 140° pleine balle pour éviter de se faire déporter sur les récifs par un courant traversier.

Ça se passe tranquille, le temps est calme. On est à Cuba non de Dieu !!!

Le défilé des officiels commence : chef de la base, médecin, chien renifleur, douanes, immigration, agriculture, santé, … Au total, une bonne dizaine de personne à bord, 2 à 3 heures d’inspection, 4 à 5 formulaires, des photos des trottinettes à Titi (va comprendre…), nos fusées de détresse et mon drone mis sous scellé ☹… Le tout dans la bonne humeur !

Le ciel est bleu pâle. Une Cadillac rose et blanche passe le long de la jetée bordée de cocotiers. Joséphine, on t’attend ! Nous, c’est le rhum qu’on se jette, à votre santé !

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